Emmanuel Macron Serait-il En Train De Gagner Son Pari
Au milieu de la mer de drapeaux politiques, de ballons et d'affiches transportĂ©s dans les rues de Paris cette semaine par les opposants au prĂ©sident Emmanuel Macron, c'est celui du petit parti communiste français qui a peut-ĂȘtre le mieux capturĂ© l'ambiance de la manifestation gĂ©ante.
"Macron mĂ©prise la RĂ©publique", a-t-il proclamĂ©, mettant en scĂšne un prĂ©sident au visage de pierre, vĂȘtu d'insignes royaux canalisant le roi de France Louis XIV, un monarque qui centralisait le pouvoir et dont ses dĂ©tracteurs se plaignaient aimait se prĂ©lasser dans sa propre gloire.
"Le roi Emmanuel Ier", comme Macron est désormais surnommé par nombre de ses détracteurs, mÚne un combat existentiel avec le puissant mouvement ouvrier du pays depuis prÚs de trois mois, chaque camp essayant d'épuiser l'autre à capituler sur le question controversée de la réforme des retraites.
Le pays et sa capitale, Paris, ont été secoués mardi par des manifestations encore plus énormes résultant de la 10e grÚve générale déclenchée par les syndicalistes. Les syndicats disent que plus de deux millions de personnes y ont assisté, alors que le ministÚre français de l'Intérieur évalue le chiffre à 750 000.
Quel que soit le chiffre, l'impact cumulé sur l'économie française de la perturbation a été significatif.
Mardi, les entreprises ont été fermées, les systÚmes de train et de transport en commun ont été fermés et des attractions touristiques célÚbres telles que la Tour Eiffel sont devenues interdites, exaspérant les visiteurs et privant l'économie des revenus touristiques post-COVID dont elle a tant besoin.
Le gouvernement français a mĂȘme demandĂ© au roi britannique Charles III de reporter sa visiteprivant Macron de la chance de saluer le monarque au Palais de Versailles, l'ancienne rĂ©sidence royale de France.
Macron, 45 ans, ancien banquier d'affaires, a déclaré que son objectif était de rendre l'économie française plus compétitive à l'échelle internationale et d'assurer la viabilité à long terme du régime de retraite public chéri du pays.
Ses intentions ne sont pas une surprise : il a fait une course à la réforme des retraites au cours de son premier mandat en tant que président, mais l'a abandonnée à la suite des manifestations de rue et de la pandémie de COVID-19.
Des centaines de milliers de personnes continuent de manifester à travers la France contre les réformes controversées des retraites. Les manifestations sont en grande partie pacifiques, mais il y a eu de nombreux affrontements violents avec la police.
« OĂč est la limite, ici ? »
La derniÚre refonte controversée signifierait que la plupart des gens devraient travailler pendant deux années supplémentaires jusqu'à l'ùge de 64 ans avant de percevoir des prestations.
Bien que ce soit plus jeune qu'au Canada, oĂč la plupart des gens peuvent se qualifier Ă 65 ans, les membres syndiquĂ©s français affirment que le pays a des taux de productivitĂ© beaucoup plus Ă©levĂ©s que les autres Ă©conomies industrialisĂ©es.
Les opposants disent que cela signifie que Macron oblige les employés français à doubler et à travailler plus dur et plus longtemps avant de prendre leur retraite.
La législation prolongerait également la durée de cotisation pour toucher une pension à taux plein de 42 à 43 ans. Cependant, les retraités aux revenus les plus faibles verraient également leur revenu augmenter jusqu'à 5 %.

"Il vaut bien mieux bloquer le pays pendant deux mois que de devoir travailler pendant deux ans supplĂ©mentaires dans des conditions difficiles", a dĂ©clarĂ© Santiago Kadeyan, 21 ans, qui dĂ©filait mardi avec sa sĆur de 17 ans, Amanda, dans le cadre d'un groupe appelĂ© International Socialist Alternative.
Kadeyan, Ă©tudiant en mĂ©decine, dit que les jeunes craignent que Macron ne veuille privatiser une grande partie du filet de sĂ©curitĂ© sociale français â y compris les retraites â et qu'il en restera peu lorsque sa gĂ©nĂ©ration en aura besoin.
« En 2010, nous avions dĂ©jĂ relevĂ© l'Ăąge de la retraite de 60 Ă 62 ans, et maintenant de 62 Ă 64 ans. Quand j'aurai, genre, 60 ans, est-ce qu'ils vont me dire qu'ils vont le faire passer de 85 Ă 87 ans ? OĂč est la limite ? , ici?" a-t-il dĂ©clarĂ© sur la place de la RĂ©publique Ă Paris, oĂč les manifestants se sont rassemblĂ©s au dĂ©but de leur marche.
C'était un thÚme que CBC News entendait à maintes reprises lorsqu'il parlait aux jeunes lors des manifestations parisiennes, qui constituaient une partie importante de ceux qui étaient dans la rue.
"Beaucoup de mes amis font des burnouts", a déclaré Marie Elebe, 27 ans, qui défilait aux cÎtés de membres de la communauté LGBT de la ville.
"Nous travaillons pour moins d'argent que nos parents. Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir nous permettre d'avoir des enfants et nous sommes en colÚre parce que nous ne vivons pas une bonne vie. Nous ne voulons pas simplement travailler pour la vie."
Facture déjà approuvée
Le Parlement français a dĂ©jĂ approuvĂ© le projet de loi sur les retraites par le biais de l'article 49.3 rarement utilisĂ© de la Constitution française. PlutĂŽt que de soumettre le projet de loi au vote parlementaire, le 20 mars, la PremiĂšre ministre Ălisabeth Borne a testĂ© l'ensemble du gouvernement avec une motion de censure.
L'Ă©quipe de Macron a gagnĂ© par une marge Ă©troite, mais la dĂ©cision Ă©tait incendiaire â poussant plus de gens dans la rue plusieurs jours plus tard et transformant la question des retraites en une indignation plus large contre ce que les opposants de Macron prĂ©tendent ĂȘtre ses tactiques autoritaires.
Le prochain moment clé devrait intervenir le 14 avril, lorsque la plus haute juridiction judiciaire de France statuera sur la constitutionnalité de tout ou partie de la nouvelle législation.
MĂȘme si les sondages suggĂšrent que la popularitĂ© de Macron a chutĂ© Ă 30%, ses partisans insistent sur le fait qu'il n'y a pas de retour en arriĂšre.

"Chaque fois que vous rĂ©formez le (systĂšme) de retraite, vous avez beaucoup de manifestations", a dĂ©clarĂ© Christopher Weissberg, membre du parti de Macron Ă l'AssemblĂ©e nationale française qui reprĂ©sente les citoyens français vivant au Canada et aux Ătats-Unis.
"Si vous voulez faire avancer les choses, à un moment donné, vous devez passer par là ."
Weissberg dit que les manifestants ont raison de s'inquiéter du fait que les travailleurs ùgés de plus de 60 ans ont de plus en plus de mal à conserver leur emploi, en particulier ceux qui travaillent sur les chaßnes de montage et dans la fabrication.
Mais il a dit que Macron avait aussi un plan pour y remédier.
"Ils verront que la prochaine réforme, par exemple, portera sur la façon d'augmenter les salaires. J'espÚre qu'ils verront qu'aprÚs les retraites, qui étaient obligatoires pour maintenir notre systÚme, ils peuvent gagner sur d'autres choses", a déclaré Weissberg dans un entretien.

D'autres qui ont étudié le systÚme de retraite français ne sont pas aussi convaincus.
Bruno Palier, professeur et chercheur à la Fondation nationale des sciences politiques à Paris, affirme que le mouvement syndical français tente de mener une révolution du lieu de travail vers un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Il y a plus de deux décennies, la France est passée à une semaine de travail de 35 heures, au lieu de 40 heures, avec l'idée que si les gens travaillaient moins, il y aurait plus d'emplois pour tout le monde, a déclaré Palier. Au lieu de cela, dit-il, ce qui s'est passé, c'est que les gens ont simplement travaillé plus dur, et une fois que les travailleurs ùgés ont pris leur retraite, les jeunes ne les ont pas remplacés.
Cela explique en partie le profond scepticisme suscité par la refonte des retraites de Macron, a-t-il déclaré à CBC News.
"Les travailleurs réclament une réorganisation du travail pour que la vie personnelle ait une plus grande place", a déclaré Palier.
"Je pense que nous avons une façon bruyante de dire qu'il y a une révolution en cours au travail."
La lutte pourrait faire basculer la voie de Macron
Le bĂ©nĂ©ficiaire le plus immĂ©diat de l'impasse a Ă©tĂ© le mouvement d'extrĂȘme droite du pays et sa chef parlementaire, Marine Le Pen.
Un sondage rĂ©cent indique qu'elle a gagnĂ© cinq points depuis le dĂ©but des manifestations - mĂȘme si le message populiste de son Rassemblement national a Ă©tĂ© intensĂ©ment antisyndical dans le passĂ©. Ces mĂȘmes sondages suggĂšrent Le Pen est dĂ©sormais le mieux placĂ© pour remplacer Macron lorsque son deuxiĂšme mandat expire en 2027 et qu'il lui est interdit de se reprĂ©senter.
Pourtant, alors que la dĂ©cision de la Cour suprĂȘme jouera un rĂŽle majeur dans la dĂ©termination de l'avenir de la rĂ©forme des retraites, il y a des indices subtils que la lutte pourrait lentement basculer dans le sens de Macron.

Bien que les partisans et les opposants puissent ĂȘtre en dĂ©saccord sur les chiffres, la foule Ă©tait moins nombreuse que lors des prĂ©cĂ©dentes grĂšves gĂ©nĂ©rales plus tĂŽt en mars.
De nombreux employés syndiqués qui avaient participé à des manifestations précédentes, dont une majorité d'enseignants, ont choisi de rester au travail plutÎt que d'assister à la manifestation et de perdre une journée de salaire. Le syndicat représentant les éboueurs a également annulé sa grÚve de trois semaines qui avait laissé les rues de Paris avec des montagnes de déchets non collectés. Les incidents violents entre la police et les manifestants ont également été moins nombreux mardi que par le passé.
Borne a Ă©galement proposĂ© de rencontrer des reprĂ©sentants de huit syndicats puissants avant la prochaine sĂ©rie de grĂšves nationales, qui ont Ă©tĂ© convoquĂ©es pour le 6 avril â une offre qui a Ă©tĂ© acceptĂ©e.
Mais dans la rue, les opposants les plus ardents jurent de poursuivre le défi jusqu'à ce que Macron retire complÚtement la législation.
"S'il y a suffisamment de blocage (de l'Ă©conomie) pour que mĂȘme les PDG, les dirigeants d'entreprises commencent Ă dire Ă Macron, 'ce n'est pas la peine, on perd trop, il y a trop de chaos' - c'est la seule façon d'aller pour le faire arrĂȘter », a dĂ©clarĂ© Kadeyan.
0 Comments